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Pourquoi la plupart des 4x4 « hardcore » ne sont pas vendus en Europe

Il n’est peut-être pas très correct, d’un point de vue dialectique, de commencer par la fin, par une conclusion, mais je n’y résiste pas. Les véhicules 4x4 et les pick-ups 4x4 en Europe sont devenus un produit de luxe, presque réservé à la classe supérieure de la société. Cette idée est peut-être davantage une conséquence qu’une conclusion issue de l’analyse des raisons pour lesquelles ce type de véhicules ne se vend pas en Europe.

Pour s’en convaincre, un seul exemple suffit peut-être. Je vous mets au défi de regarder des vidéos d’overland 4x4 sur YouTube. Des vidéos de créateurs espagnols et européens, mais aussi d’autres pays — États-Unis, Australie, Afrique du Sud, voire Amérique du Sud, Colombie et Argentine par exemple — et d’observer les véhicules utilisés dans chaque pays. Je vous demanderais de répondre honnêtement à cette question : dans quelle région, dans quel pays, l’âge moyen des véhicules utilisés est-il le plus élevé ?

Peut-être arriverez-vous à la même réponse que moi, mais je ne vais pas vous demander maintenant pourquoi. Je pense que ce petit rapport vous apporte une partie des explications. En tout cas, j’espère qu’il vous sera au moins utile.

Introduction

Deux tout-terrains sur trois — des vrais — vendus aujourd’hui dans le monde ne peuvent pas être achetés neufs en Europe. Il ne s’agit pas de prototypes exotiques ni de raretés marginales, mais de pick-ups et de 4x4 de travail qui circulent normalement aux États-Unis, en Australie, en Afrique du Sud ou en Amérique hispanophone.

Selon l’analyse croisée de données de marché et de réglementation, entre 61 % et 66,7 % des modèles de 4x4 et de pick-ups de grande capacité commercialisés dans le monde n’ont aucune présence officielle dans l’Union européenne. Ce chiffre n’est pas rhétorique : il est structurel.

L’explication habituelle — « ils ne respectent pas les normes », « ils ne s’intègrent pas », « ils n’intéressent pas le client européen » — est confortable, mais fausse ou, au minimum, incomplète. L’Europe achète bien des pick-ups ; le Ford Ranger le prouve. L’Europe a bien besoin de motricité, de gamme courte et de robustesse ; le vieillissement du parc 4x4 le confirme. Ce qui a changé, ce n’est pas la demande, mais le cadre dans lequel cette demande essaie de se matérialiser. Un cadre où le véhicule n’est plus évalué comme un outil individuel, mais comme un élément d’un équilibre de flotte, d’émissions, de sécurité et de coûts décidé très loin de la concession.

Cette entrée de blog ne parle ni de nostalgie ni d’idéologie. Elle parle de chiffres, de règles et de conséquences. De la manière dont une somme de décisions techniques et économiques a transformé silencieusement le 4x4 fonctionnel en un produit toujours plus cher, plus rare et plus inaccessible. Non pas parce que le 4x4 aurait cessé d’être utile, mais parce que le système dans lequel il se vend a cessé de permettre qu’il le soit pour la majorité.

Pendant des décennies, l’Europe faisait partie de la carte naturelle du tout-terrain classique : châssis à longerons, gamme courte, blocages et moteurs pensés pour durer plutôt que pour plaire. Aujourd’hui, ce paysage a radicalement changé. Plus de la moitié des 4x4 et pick-ups de grande capacité vendus dans le monde n’existent tout simplement pas sur le marché européen. Et ce n’est ni par absence de demande mondiale ni par effondrement technologique du concept. Les causes sont structurelles, cumulatives et profondément économiques.

Cette exclusion de deux tiers du marché mondial des 4x4 spécialisés est un résultat direct de la réglementation stricte. Des barrières qui rendent l’importation officielle par les marques financièrement non viable pour la majorité des designs américains (full-size) et des plateformes « héritées » (cas du LC70, du FJ de Toyota), laissant le créneau européen à des modèles premium à forte marge (G-Class, Grenadier) ou à des plateformes intermédiaires ayant investi massivement dans l’adaptation à l’Euro 6d/7 (Land Cruiser 250, Ranger Raptor).

En conséquence, l’acheteur à fort pouvoir d’achat perçoit à peine ce changement, ces limitations, comme une véritable barrière, car il peut payer le surcoût technologique, l’adaptation à des normes toujours plus complexes, les systèmes d’assistance obligatoires et l’augmentation générale du prix du produit. Pour le citoyen à fort pouvoir d’achat, la réglementation se traduit simplement par un chiffre plus élevé dans le budget à consacrer à l’achat de sa prochaine voiture.

C’est la conclusion la plus brutale. Le véritable perdant est l’acheteur au pouvoir d’achat moyen — même plus « faible », simplement moyen. Pour l’acheteur de la classe moyenne, le 4x4 neuf a cessé d’exister. Il n’est plus une option viable. Il ne reste que le marché de l’occasion, l’importation compliquée, l’homologation individuelle coûteuse et pleine d’incertitudes, ou directement la renonciation.

Dans ce petit rapport, nous analyserons la situation du marché réglementaire européen, cause directe de cette réalité que nous décrivons, et nous y trouverons les raisons de cette situation.

Il est peut-être temps de revenir au début et de présenter l’origine de cette petite étude. Tout est né de la curiosité d’essayer d’établir la liste des véhicules 4x4 commercialisés dans le monde et qui ne viennent pas en Europe. Pour cela, je me suis tourné vers ces intelligences artificielles qui savent tout, et je leur ai posé la question suivante :

« Je veux connaître toutes les marques de voitures et de pick-ups 4x4 qui sont fabriquées ou vendues aux États-Unis, en Amérique du Sud, en Afrique du Sud et en Australie.

Première définition : pour moi, qu’est-ce qu’une voiture 4x4 ou un pick-up 4x4 ? Pour remplir cette condition, il faut des rapports longs, des rapports courts ou une gamme courte (réducteur) et, au minimum, un blocage central. Nous considérerons aussi comme blocage central les véhicules 2x4 capables de rouler en mode 2x4 mais où l’on peut, à un moment donné, enclencher le mode 4x4. Nous considérerons ainsi que les véhicules 2x4 avec 4x4 enclenchable ont un blocage central. Ils doivent respecter ces caractéristiques au minimum ; s’ils ont davantage de blocages, tant mieux, mais pour les inclure dans cette étude, ils doivent respecter les caractéristiques indiquées ci-dessus.

Je veux une liste aussi exhaustive que possible. Nous inclurons toutes les voitures, marques, modèles et versions qui, vendus dans ces pays, ne sont pas vendus en Europe. Je veux considérer les modèles dans leur globalité : de sorte que si un modèle, par exemple le Ford Bronco, a différentes versions vendues sur ces autres marchés mais non vendues en Europe, nous devons le considérer comme un modèle non vendu en Europe.

Avec cette étude, je cherche à savoir quels véhicules, quelles marques, quels modèles et quelles versions ne sont pas vendus en Europe, et pourquoi ils ne le sont pas. S’ils ne sont pas vendus pour des motifs juridiques, par exemple pollution, sécurité, ou si c’est pour des raisons d’analyse de marché et de décision d’entreprise ? Je veux aussi savoir, parmi ceux qui se vendent, lesquels sont soumis à des quotas pour des motifs environnementaux ou de “normes vertes”.

Je veux une étude aussi exhaustive que possible : je veux associer marque et modèle à la cause de leur absence en Europe.

Parmi toutes ces marques et modèles, nous ne considérerons pas les marques chinoises. Pour moi, est une marque chinoise toute machine ou voiture dont la maison-mère ultime est la Chine, sauf si la marque a été auparavant européenne, américaine ou japonaise. Exemple : pour moi, Volvo ne sera jamais une marque chinoise parce qu’elle a été auparavant européenne.

Ainsi, toute marque qui, par son origine, son marketing et ses marchés, n’a pas une origine chinoise, nous l’inclurons dans l’étude. Nous considérerons la Chine et n’inclurons pas dans cette étude les marques nées et nettement chinoises.

Comme je le dis, je veux une étude aussi détaillée et exhaustive que possible des marques, modèles et versions commercialisés au cours des 5 dernières années jusqu’à aujourd’hui, ainsi que des perspectives pour les trois prochaines années. »

Cette étude m’a apporté de nombreuses réponses concrètes que je vous présenterai dans une entrée ultérieure. Mais elle m’a aussi laissé une liste de causes et de conséquences qui, en partie, étaient attendues et, en partie, m’ont surpris. J’ai donc commencé une autre recherche et analyse, dont le résultat est celui que je vous présente ici.

Comme je l’ai dit, je laisse la liste des marques et modèles pour une prochaine occasion — je l’espère proche — et, si vous le permettez, je passe à l’exposé des causes et des « pourquoi » identifiés.

Le COâ‚‚ de flotte : le mur invisible qui décide quels véhicules existent et lesquels n’existent pas

La première cause — la principale et la plus attendue — pour laquelle ces véhicules n’arrivent pas en Europe n’est pas qu’« ils polluent beaucoup » dans un sens abstrait ou individuellement (le modèle en lui-même), mais qu’ils cassent l’équilibre des émissions de flotte des constructeurs. Dans l’UE, on n’évalue pas chaque voiture isolément : on évalue la moyenne de COâ‚‚ de tout ce qu’une marque vend.

Comme vous le voyez, cette petite cause est venue avec une petite surprise — du moins pour moi : « les émissions de flotte ». Ainsi, un 4x4 hardcore — par définition grand, lourd et avec des rapports courts — se situe souvent très au-dessus de 250 g/km de COâ‚‚. Le lancer officiellement oblige le constructeur à compenser en vendant une grande quantité supplémentaire d’hybrides ou d’électriques, ou à payer des amendes automatiques de 95 € pour chaque gramme dépassé et pour chaque unité vendue.

Des exemples évidents sont les pick-ups full-size américains comme le RAM 1500 ou le Ford F-150, ou les grands SUV à châssis comme le Toyota Land Cruiser 300. Ils ne sont pas exclus parce qu’« ils ne plaisent pas en Europe », mais parce que chaque unité vendue pénalise financièrement toute la gamme.

Mais qu’est-ce que le « COâ‚‚ de flotte », les émissions de flotte, et pourquoi cela décide-t-il quels véhicules existent en Europe ? Quand on dit qu’une voiture « ne respecte pas le COâ‚‚ », beaucoup pensent que l’Union européenne évalue modèle par modèle. Ce n’est pas le cas. Dans l’UE, depuis plus d’une décennie, on ne régule pas le COâ‚‚ de chaque véhicule (modèle) de façon isolée, mais la moyenne des émissions de tous les véhicules neufs vendus par chaque constructeur sur une année. Cela s’appelle l’objectif d’émissions de flotte (fleet average COâ‚‚ target).

L’idée clé (en une phrase) : une voiture très émettrice n’est pas interdite en soi, mais elle peut rendre « chers » tous les autres véhicules de la marque sous forme d’amendes.

D’où vient ce système : la logique de l’UE

L’Union européenne poursuit un objectif climatique global : réduire les émissions totales du parc automobile, pas punir des modèles spécifiques. Elle adopte donc une logique industrielle, pas individuelle. Elle ne dit pas : « cette voiture ne peut pas être vendue ». Elle dit : « si ta marque vend des voitures très émettrices, elle devra compenser avec d’autres très propres… ou payer ».

Ce système a été introduit et durci par plusieurs règlements, parmi lesquels : le Règlement (CE) nº 443/2009, origine du système d’objectifs COâ‚‚ pour les voitures particulières ; et le Règlement (UE) 2019/631, cadre actuel pour les voitures (M1) et les véhicules utilitaires légers (N1), avec des objectifs jusqu’à 2030 et au-delà.

Allons au cœur du sujet : comment se calcule le COâ‚‚ de flotte, expliqué simplement. Chaque constructeur a, chaque année, un objectif théorique de COâ‚‚ (en grammes par kilomètre). Il a une moyenne réelle de COâ‚‚ calculée avec toutes les voitures neuves immatriculées cette année-là. En simplifiant : on additionne les émissions officielles WLTP de toutes les voitures neuves vendues, on fait une moyenne pondérée, et on compare cette moyenne à l’objectif assigné.

Mais procédons par étapes : que sont les émissions officielles WLTP ?

Quand on parle d’« émissions officielles WLTP », on ne parle ni des émissions réelles sur route, ni d’une moyenne statistique abstraite, mais d’une procédure d’essai normalisée que l’Union européenne utilise pour mesurer et certifier les émissions et la consommation d’un véhicule neuf avant d’autoriser sa vente. WLTP signifie Worldwide Harmonised Light Vehicles Test Procedure, et il a justement été créé parce que le système précédent, le NEDC, s’était totalement déconnecté de l’usage réel.

Le NEDC était un cycle de laboratoire court, lent, prévisible et facilement optimisable par les constructeurs. Ses résultats étaient si irréalistes qu’ils n’étaient plus crédibles comme base réglementaire. Le WLTP est introduit pour corriger cela : il est plus long, plus rapide, avec des accélérations plus fortes, des vitesses moyenne et maximale plus élevées, moins de temps morts, et une plus grande pénalisation du poids et de l’équipement du véhicule. Il ne mesure pas « comment une voiture pollue dans la vraie vie », mais il mesure de manière plus sévère — donc plus pénalisante — les véhicules grands, lourds et puissants.

Le WLTP se réalise toujours en laboratoire, dans des conditions contrôlées, avec un véhicule neuf et correctement entretenu. C’est important : le résultat WLTP n’est pas une moyenne sociale, c’est un chiffre juridique. C’est le chiffre utilisé pour calculer le COâ‚‚ officiel du véhicule, l’intégrer dans la moyenne de flotte du constructeur et déclencher impôts, pénalités et obligations réglementaires. Quand une voiture « fait 250 g/km de COâ‚‚ », ce n’est pas une opinion : c’est son résultat WLTP homologué.

Voici le point clé pour comprendre pourquoi le WLTP est particulièrement problématique pour les 4x4. Le WLTP pénalise directement le poids, la résistance aérodynamique et la masse rotative. Un 4x4 à châssis, avec gros pneus, rapports courts et transmission lourde, part avec un handicap structurel. Non pas parce que son moteur serait techniquement mauvais, mais parce que le cycle est construit autour d’une voiture européenne moyenne, compacte, relativement légère et optimisée pour la route. Dans ce cadre, un 4x4 peut être parfaitement efficace pour sa fonction réelle et pourtant afficher un COâ‚‚ WLTP très élevé.

Le problème n’est pas seulement le chiffre final, mais ce que ce chiffre déclenche. Le COâ‚‚ WLTP s’intègre directement dans le calcul des émissions moyennes de flotte. Chaque unité vendue avec un WLTP élevé augmente la moyenne du constructeur et déclenche des amendes automatiques si l’objectif est dépassé. À partir de là, le véhicule n’est plus évalué comme un outil individuel, mais comme une charge systémique pour toute la gamme. Peu importe qu’il se vende peu : l’impact réglementaire est immédiat.

À cela s’ajoute que le WLTP n’agit pas seul. Il coexiste avec les tests RDE (émissions en conduite réelle), sans les remplacer. Le WLTP reste la référence légale centrale pour l’homologation, la fiscalité et la flotte. En pratique, un véhicule peut se comporter raisonnablement en usage réel et être tout de même inviable en Europe parce que son WLTP est incompatible avec l’équilibre réglementaire du constructeur.

C’est pourquoi, dans une analyse sérieuse, parler d’« émissions WLTP » n’est pas une jargon vide. C’est le point exact où la technique devient décision économique. Le WLTP n’interdit pas des véhicules, mais il définit quels véhicules coûtent cher à vendre et lesquels non. Et dans ce cadre, les grands 4x4 sont toujours désavantagés — non par idéologie ni par mode, mais parce que la procédure mesure précisément ce que ces véhicules, par définition, ne peuvent pas optimiser sans cesser d’être ce qu’ils sont.

Le fameux chiffre : 95 g/km (et pourquoi il compte)

Le point de départ est un nombre qui revient sans cesse et qui n’est presque jamais bien expliqué : 95 grammes de COâ‚‚ par kilomètre. Pour les voitures particulières (catégorie M1), cette valeur a été pendant des années l’objectif de référence des émissions moyennes de flotte dans l’Union européenne. Ce n’est ni une limite par voiture ni une recommandation environnementale. C’est un seuil juridico-économique inscrit dans la réglementation européenne sur les émissions de flotte, qui décide si un constructeur opère dans le cadre permis ou s’il commence à payer des amendes automatiques de grande ampleur. Cet objectif est ajusté légèrement selon le poids moyen des véhicules de chaque marque, mais l’ajustement est limité et ne change pas la logique générale.

Ce nombre n’existe pas dans l’abstrait. Il est indissociable de la procédure WLTP, utilisée pour mesurer officiellement le COâ‚‚ de chaque véhicule.

Quand on compare les chiffres, le problème apparaît clairement. Un SUV compact hybride peut se situer entre 110 et 130 g/km WLTP en configuration courante. Un diesel moderne de taille moyenne se situe souvent entre 130 et 160 g/km. Un grand 4x4 à châssis, à transmission intégrale permanente, gros pneus et rapports courts, monte facilement à 250 g/km ou plus ; et dans le cas des pick-ups full-size, il dépasse fréquemment 300 g/km. Cette différence n’est pas marginale : elle est structurelle.

Le système européen ne sanctionne pas ce dépassement modèle par modèle, mais de manière systémique. Quand un constructeur dépasse son objectif de COâ‚‚ de flotte, une sanction automatique s’active : 95 euros par gramme de dépassement et par véhicule immatriculé. Pas pour la voiture qui émet plus, mais pour toutes les voitures vendues cette année-là. Il suffit qu’une grande marque dépasse de 1 ou 2 g/km pour que les amendes atteignent des dizaines ou des centaines de millions d’euros. Voilà pourquoi 95 g/km n’est pas un symbole : c’est une ligne qui sépare la rentabilité de la sanction financière.

L’opération est simple : on multiplie les g/km de chaque voiture vendue et on divise par toutes les voitures vendues par la marque ; on obtient une moyenne. Si cette moyenne est à 95 g/km ou moins, pas de problème. Si elle est au-dessus, alors les amendes de 95,00 € s’appliquent par gramme dépassé et sur le total des voitures vendues cette année-là par la marque.

Le système fonctionne exactement ainsi : on ne pénalise pas le modèle qui émet plus, ni même l’ensemble des modèles « problématiques ». On pénalise toute la flotte du constructeur comme un tout si la moyenne pondérée de COâ‚‚ des véhicules neufs immatriculés sur l’année dépasse l’objectif assigné.

Si, une fois la moyenne faite, le résultat final dépasse l’objectif du constructeur de, par exemple, 1 g/km, la sanction ne s’applique pas seulement aux voitures qui « dépassent », ni seulement à celles à fortes émissions. Elle s’applique à chaque véhicule immatriculé par ce constructeur cette année-là, quel que soit son niveau individuel de COâ‚‚. Le calcul est arithmétique et automatique : grammes de dépassement × 95 euros × nombre total de véhicules vendus.

C’est pourquoi un écart apparemment faible peut générer des chiffres énormes. Une marque qui vend 500 000 véhicules en Europe et dépasse de seulement 2 g/km fait face à une amende de 95 millions d’euros. Avec 5 g/km de dépassement, la somme dépasse 200 millions. Et cela sans avoir vendu « beaucoup » de voitures polluantes : il peut suffire d’introduire quelques modèles très émetteurs qui déséquilibrent la moyenne.

Cette logique est la clé pour comprendre pourquoi le système est si dur avec certains produits. Un grand 4x4 n’est pas problématique en soi, mais par l’effet qu’il a sur la moyenne. Dans une flotte déjà réglée au millimètre, une seule famille de véhicules à 250–350 g/km WLTP peut pousser la moyenne au-dessus de l’objectif, obligeant le constructeur à réagir : retirer d’autres modèles, forcer des ventes d’électriques, ou tout simplement écarter le produit avant même de le lancer.

C’est là que le 4x4 « hardcore » devient un vrai problème produit. Un pick-up full-size ou un grand SUV à châssis concentre tous les facteurs que le système pénalise : poids élevé, mauvaise aérodynamique, conception orientée force et durabilité, pas optimisation de cycle d’homologation, et souvent usage avec charge ou remorque. Résultat : COâ‚‚ WLTP très élevé. Quand une marque introduit ce type de véhicule en Europe, chaque unité vendue tire vers le haut la moyenne de toute la flotte. Cet effet ne se compense ni par le prix ni par la marge individuelle du modèle. Le système ne fonctionne pas ainsi.

On pourrait croire qu’il suffirait de vendre ces voitures très cher pour que le problème disparaisse. C’est faux. Le COâ‚‚ ne se compense pas par l’argent, mais par d’autres voitures à très faible COâ‚‚. Un Land Cruiser 300 pourrait se vendre 120 000 euros et compterait exactement pareil dans la moyenne. Il obligerait toujours à vendre beaucoup plus d’hybrides ou d’électriques pour équilibrer la flotte, ou à accepter des amendes. Dans un marché européen petit, où ces véhicules se vendraient en volumes faibles, la compensation ne vaut pas la peine. Le coût réglementaire par unité devient disproportionné par rapport au bénéfice.

C’est pourquoi, en pratique, ces véhicules ne sont même plus évalués comme des produits individuels : ils sont écartés en amont. Non parce qu’ils seraient techniquement impossibles, ni parce qu’il n’y aurait pas de clients, mais parce qu’ils cassent l’équilibre de flotte. La comptabilité COâ‚‚ pèse plus que la marge unitaire. Du point de vue du constructeur, introduire un seul modèle de ce type peut rendre déficitaire l’ensemble de la gamme.

Ce cadre explique des décisions qui, vues de l’extérieur, paraissent incompréhensibles. Toyota n’apporte pas le Land Cruiser 300 en Europe, mais introduit un Land Cruiser 250 plus contenu. Ford ne vend pas le Bronco américain, mais électrifie son offre européenne. Les pick-ups full-size ne disparaissent pas complètement, mais sont relégués aux importateurs parallèles et aux homologations individuelles, précisément pour rester hors du calcul officiel de flotte. Ce n’est pas une question de goûts ni de récit écologique. C’est de l’arithmétique réglementaire.

La conséquence finale est claire. L’Europe n’interdit pas directement les grands 4x4. On ne peut pas l’affirmer ainsi : il n’existe pas d’interdiction claire et directe. Mais il existe une interdiction plus insidieuse, indirecte, déguisée : l’Europe fait quelque chose de plus efficace, elle les rend économiquement toxiques pour le constructeur. Quand une réglementation transforme un véhicule en source de pertes systémiques, il n’a pas besoin d’être interdit pour disparaître du marché officiel. Il cesse simplement d’être proposé.

Euro 7. Ce qui arrive, et qui est déjà là

La norme Euro 7 a déjà été adoptée formellement par l’Union européenne et publiée comme Règlement (UE) 2024/1257, ce qui signifie qu’elle fait partie du cadre juridique européen en vigueur concernant les émissions des véhicules et des systèmes liés à la durabilité des batteries, ainsi qu’aux polluants traditionnels et non traditionnels.

En termes d’état actuel, Euro 7 a achevé son processus d’approbation législative. Le Parlement européen et le Conseil sont parvenus à un accord politique sur le texte en décembre 2023, qui a ensuite été instruit, signé et publié. Ce règlement remplace et met à jour des normes antérieures, notamment certaines parties d’Euro 6 et d’autres règlements spécifiques aux émissions et à l’homologation, et introduit des mesures bien plus larges que les normes de la décennie 2010, en incluant pour la première fois la régulation des émissions non issues de l’échappement, comme les particules de freins et de pneus.

L’application d’Euro 7 ne se fait pas d’un seul coup, mais de manière échelonnée selon le type de véhicule. Les dates officiellement prévues dans le calendrier législatif sont les suivantes :

29 novembre 2026 : début d’application pour les nouveaux types homologués de voitures particulières et de véhicules utilitaires légers (catégories M1 et N1). À partir de cette date, tous les nouveaux modèles présentés pour obtenir une homologation de type devront respecter Euro 7.

29 novembre 2027 : obligation pour toutes les nouvelles immatriculations des catégories M1 et N1. Cela signifie qu’à partir de cette date, toutes les voitures neuves vendues dans l’Union européenne dans ces catégories devront respecter Euro 7.

29 mai 2028 et 29 mai 2029 : déploiement progressif pour les véhicules plus lourds (catégories M2, M3, N2, N3, O3 et O4, incluant autobus, camions et véhicules utilitaires lourds).

Ce calendrier consolide les délais réels d’implémentation, en repoussant les dates initiales proposées dans des brouillons antérieurs (comme juillet 2025). En effet, l’obligation de conformité pour les véhicules légers a été réajustée à 2027 et pour les véhicules lourds à 2029, après des discussions entre régulateurs et industrie sur la faisabilité technique et économique.

En pratique, même si les délais d’homologation et d’immatriculation sont fixés, la mise en œuvre technique et opérationnelle de toutes les exigences Euro 7 est complexe. De nombreuses obligations, comme la mesure des particules de freins et de pneus, ainsi que les exigences de durabilité élargies et les nouveaux seuils pour les systèmes électriques et batteries, ont déjà fait l’objet de discussions et du développement de procédures d’essai ; les constructeurs travaillent donc depuis des années à adapter leurs produits, même avant l’entrée en vigueur formelle.

Concernant d’éventuelles modifications ou nouveaux reports, il n’existe aucun indice officiel d’un nouveau décalage du calendrier Euro 7. Le règlement est publié et les dates sont légalement fixées. Cependant, dans le contexte plus large de la réglementation européenne sur la mobilité et les émissions, il existe un débat politique et technique sur d’autres cadres superposés, comme l’interdiction prévue de vente de véhicules thermiques en 2035, récemment objet de controverses et de propositions de flexibilisation entre législateurs et États membres. Cette discussion, bien que distincte d’Euro 7, peut influencer la stratégie de conformité des constructeurs et leur planification d’offre à moyen terme, car elle modifie les signaux de marché pour les technologies alternatives.

En résumé, Euro 7 est approuvée et juridiquement contraignante pour l’industrie. Ses dates d’application sont fixées : fin 2026 pour les nouveaux types de véhicules légers, fin 2027 pour toutes les nouvelles immatriculations de voitures et utilitaires légers, et progressivement 2028–2029 pour les véhicules lourds. Les retards par rapport aux premières propositions reflètent les négociations entre l’UE et les constructeurs, mais le texte définitif est publié et juridiquement exigible. L’industrie s’y prépare déjà, même si la complexité technique de certaines exigences et le contexte politique plus large de l’automobile européenne introduisent une certaine incertitude dans la pratique opérationnelle de conformité.

Normes de sécurité (GSR) : quand le design se heurte à la loi

La deuxième grande barrière est le Règlement général de sécurité (GSR et GSR2), qui oblige à intégrer des systèmes avancés d’assistance (ADAS), des standards de vision directe et des critères de protection des usagers vulnérables.

De nombreux 4x4 conçus pour l’Australie, l’Afrique ou l’Amérique sont pensés pour d’autres environnements, avec des faces avant hautes, des géométries verticales, des structures rigides et une architecture électronique simple. Les adapter aux standards européens exige une réingénierie profonde, pas de simples ajustements.

Le cas paradigmatique est le Toyota Land Cruiser 70 : son exclusion ne vient pas seulement des émissions, mais du fait que sa conception structurelle est incompatible avec les exigences actuelles de sécurité passive et active. Il en va de même pour des modèles comme le Ford Bronco américain, dont la face avant et l’architecture rendent irréaliste une homologation européenne raisonnable.

Mais qu’est-ce que cette réglementation de sécurité ? GSR signifie General Safety Regulation, le Règlement général de sécurité de l’UE. Quand on parle de « GSR2 », on utilise presque toujours une étiquette informelle pour désigner la grande mise à jour moderne de ce cadre, qui fixe un plancher technologique obligatoire pour pouvoir vendre un véhicule neuf en Europe : il ne suffit pas qu’il « soit sûr en général », il doit intégrer une série de systèmes précis, avec des performances minimales définies et vérifiables en homologation. Le texte de base est le Règlement (UE) 2019/2144, qui fixe des exigences d’homologation en matière de sécurité pour les véhicules (catégories M et N, entre autres) et met fortement l’accent sur la protection des occupants et des usagers vulnérables (piétons et cyclistes).

La clé pratique est que le GSR opère dans le système européen d’homologation de type : si un constructeur veut vendre un modèle « catalogue » dans toute l’UE, il ne le fait pas pays par pays comme un simple formalité administrative, mais via une homologation industrielle (une « autorisation de vente » technique) qui exige de démontrer, par essais et documentation, que le véhicule respecte ce paquet d’exigences. Le GSR n’est pas un conseil ni un guide ; c’est une condition d’accès au marché du véhicule neuf.

Le calendrier est aussi crucial, car c’est là qu’on comprend pourquoi « disparaissent » soudain des choses vendues auparavant. L’application a été échelonnée : beaucoup d’exigences deviennent obligatoires pour les nouveaux types/modèles à partir de juillet 2022, puis s’étendent à toutes les nouvelles immatriculations (même si le modèle est plus ancien) à partir de juillet 2024. Autrement dit, on atteint un moment où, si vous voulez continuer à vendre « comme neuf » un véhicule issu d’une plateforme ancienne ou d’un marché non européen, il ne suffit plus de le maintenir tel quel : soit vous le mettez à jour au paquet, soit il sort du canal officiel.

Qu’y a-t-il dans ce « paquet » ? Des familles de systèmes ADAS et d’éléments de sécurité qui deviennent obligatoires comme plancher technologique minimal : par exemple, l’assistance intelligente à la vitesse (ISA), la freinage autonome d’urgence, des fonctions de maintien/assistance de voie (y compris versions « d’urgence »), alertes de somnolence/attention, détection en marche arrière (caméra ou capteurs), signal d’arrêt d’urgence (comportement des feux lors de freinages inteintelligente à la vitesse (ISA), la freinage autonome d’urgence, des fonctions de maintien/assistance de voie (y compris versions « d’urgence »), alertes de somnolence/attention, détection en marche arrière (caméra ou capteurs), signal d’arrêt d’urgence (comportement des feux lors de freinages intenses) et enregistreur de données d’événement (EDR), la fameuse « boîte noire ».

Jusqu’ici, on pourrait croire : « bon, on met une caméra, un radar, et c’est réglé ». Et c’est ici que l’on comprend pourquoi cela frappe plus fort les 4x4 « durs », surtout les modèles hérités ou pensés pour d’autres continents. La solution est rarement d’« installer un gadget ». Le véhicule a besoin d’une architecture électronique moderne (capteurs, caméras, radars, calculateurs, réseaux internes, logiciel), puis d’une calibration et d’une validation pour démontrer que tout fonctionne de manière cohérente dans les scénarios réels et les protocoles d’essai exigés. Il ne suffit pas de « l’avoir » : il faut l’avoir et l’intégrer de manière homologable. Et, en pratique, l’Europe appuie une partie de la conformité sur des standards techniques internationaux (notamment l’écosystème UNECE), ajoutant des couches de compatibilité et d’essais quand le véhicule naît d’une autre philosophie normative.

Sur un véhicule moderne développé pour l’Europe, ce coût est intégré dans l’ADN du produit. Sur un 4x4 utilitaire, simple, réparable et conçu pour durer (ou sur une plateforme pensée pour Australie/Afrique/Moyen-Orient/États-Unis), cette base n’existe souvent pas ou n’a pas été conçue pour le même objectif. Résultat : pour le vendre officiellement, il ne suffit pas « d’ajouter des ADAS » ; cela implique souvent de la réingénierie et de repasser par la machine complète d’homologation. Et l’économie revient : si le volume de vente prévu en Europe est faible, le coût fixe d’adaptation et d’homologation se répartit sur peu d’unités et devient irrationnel.

C’est pour cela que le GSR/GSR2 est particulièrement expulsif pour trois types de cas. D’abord les « héritages utilitaires » type Land Cruiser 70 : des véhicules conçus comme outils, avec une philosophie de simplicité et robustesse ; précisément cette simplicité signifie que les monter au plancher technologique européen (électronique + ADAS obligatoires + validations) coûte cher et rapporte peu.

Ensuite les pick-ups full-size américains type RAM 1500 ou F-150 : même s’ils peuvent recevoir des ADAS sur leur marché, l’homologation UE complète exige ici des démonstrations et un alignement normatif qui font que « ressembler » ne suffit pas.

Enfin les icônes de niche comme le Ford Bronco : même si techniquement ce serait possible, le coût pour respecter tout le paquet sécurité pour vendre peu d’unités (ajouté aux autres charges européennes) mène souvent à la même décision : pas d’entrée en gamme officielle, seulement des importations ponctuelles/parallèles.

Dit clairement : le GSR/GSR2 n’« interdit » pas un 4x4 dur parce qu’il est dur. Il relève simplement le plancher minimal de technologie et de vérification pour tout véhicule neuf vendu en Europe. Et quand un véhicule est conçu pour être simple, robuste, et suit une autre logique de marché, l’adapter à ce plancher n’est pas un détail : c’est un investissement lourd. Si, en plus, le volume de vente européen est faible, l’équation économique ne tient pas : non parce que le véhicule serait mauvais, mais parce que le cadre européen transforme son entrée officielle en projet cher et difficile à amortir.

La taille du marché européen : petit, fragmenté et cher

Ce facteur, additionné et fortement conditionné par les points analysés plus haut, vient donner le coup de grâce à la vente de ce type de véhicules en Europe. L’Europe est un marché unique pour homologuer des voitures, mais pas pour les vendre. Et dans les segments petits et sensibles réglementairement, cette différence change tout.

Quand on affirme que le marché européen est petit, fragmenté et cher pour les 4x4 à châssis et les pick-ups grands, ce n’est pas une impression subjective ni un jugement culturel, mais une constatation économique, comparée à d’autres grands marchés où ces véhicules se vendent normalement. L’Europe n’est pas un marché naturel pour ce produit, ni en volume, ni en structure, ni en coûts.

Petit. En volume, le marché européen des pick-ups et tout-terrains « durs » est réduit par rapport aux États-Unis ou à l’Australie. En Europe, le segment pick-up ne représente qu’une fraction très petite du marché total et se concentre en plus sur peu de pays, dominé par un ou deux modèles.

Le fait qu’un seul modèle moyen, comme le Ford Ranger, puisse concentrer autour de 40–45 % du total du segment européen indique clairement l’étroitesse du marché. Aux États-Unis, au contraire, un seul pick-up full-size vend chaque année plusieurs fois le volume total de tout le segment européen, et comme véhicule d’usage quotidien, pas comme produit de niche. Cette différence d&rs



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Posté sur 15-12-2025 | Catégorie: The Shire Overland


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